NOTRE SÉLECTION : AU NOM DE LA TERRE (FILM)

NOTRE SÉLECTION : AU NOM DE LA TERRE (FILM)

« Au Nom de la Terre » (2019) – Réalisateur : Edouard Bergeon

Au Nom de la Terre, raconte la vie de Pierre (incarné par Guillaume Canet), un agriculteur et père de famille qui s’est suicidé dans la nuit du 31 mars 1999 en ingérant des glyphosates. Si ce film, n’est pas une simple fiction sur les difficultés que rencontre un agriculteur, c’est qu’il s’inspire de la vie de Christian, le père du réalisateur, à qui ce dernier rend un hommage émouvant.

  • Idée reçu numéro 1 : « le suicide n’a qu’une seule cause »

Ce film a soulevé une prise de conscience nationale sur la souffrance des agriculteurs.  Pour autant il est erroné de dire, comme beaucoup l’ont fait, que le travail peut être l’unique cause d’un suicide. Si les facteurs de risques psychosociaux augmentent le risque suicidaire, un suicide ne peut jamais être réduit à une cause unique : d’autres facteurs individuels sont toujours à prendre en considération. C’est le propos d’Au nom de la Terre, qui semble vouloir rendre son honneur à un homme travailleur, un mari aimant, un père tendre, mais aussi -et c’est là que semble être son drame-un fils mal-aimé.

Dans son film comme dans ses interviews, E. Bergeon insiste sur la pénibilité et les dettes liées au travail d’exploitant agricole, pour autant, il n’explique jamais le geste de son père par ces seules raisons. En effet, un des personnages clés pour comprendre ce drame familial est sans doute Rufus, le père de Pierre, dont la présence glaçante et les reproches incessants nourrissent indéniablement la souffrance de Pierre. E Bergeon conclu dans une interview sur cet « héritage familial hyper lourd avec un père [Rufus] qui peut juger son fils » et que c’est bien l’ensemble de ces difficultés personnelles, familiales et professionnelles qui  ont « fait beaucoup pour un seul homme » et qui ont amené son père au suicide.

  • Idée reçu numéro 2 : « on ne peut pas prévoir »

Le suicide de Pierre vient clôturer deux ans de dépression dans laquelle il perd progressivement pied. La première visite d’un médecin généraliste, suite à un malaise de Pierre visiblement surmené, vient marquer le début de sa chute. Plus tard, c’est sa femme, qui prend la lourde décision de faire hospitaliser son mari, enfermé dans sa souffrance et en incapacité de formuler un appel à l’aide. Plus le temps avance, plus Pierre devient l’ombre de l’homme qu’il était. Peu de temps avant la triste nuit où il ingère mortellement du glyphosate, Pierre vient se blottir au creux d’un arbre pour essayer de trouver le sommeil accompagné d’une photographie de sa mère et d’un grand nombre de somnifère. Cette scène nous rappelle qu’aucun geste lié à des idées potentiellement suicidaires  (comme le fait de vouloir « enfin dormir »), aussi anodin ou répété soit-il, ne peut être banalisé, mais au contraire se doit d’être toujours perçu comme le révélateur d’une souffrance psychique importante. Comme le rappel l’OMS (2014), le risque suicidaire est majeur pour les personnes ayant un antécédent de tentative de suicide (TS) : 75% des récidives ont lieu dans les premiers mois 6 mois suivant une TS, le risque de suicide ultérieur est quant à lui multiplié par 4, et par 20 dans l’année suivant la tentative.

Pour autant, si ces signes semblent présager de l’issue tragique à venir, Pierre apparait radieux, semblant renouer avec les plaisirs de la vie, sur ses derniers instants. Ainsi, il peut arriver qu’il soit plus difficile de voir les signes avant-coureurs quand ceux-ci apparaissent de manière déguisée ou semblent subitement s’éteindre. Le risque suicidaire reste toujours présent, même lorsque la crise paraît s’éteindre, et la vigilance est toujours de mise après une première tentative de suicide.

  • Idées reçue numéro 3 : « face aux idées suicidaires on ne peut rien faire »

En France, depuis ces 20 dernières années, la mise en place de plans de prévention de plus en plus structuré, a permis de faire chuter le nombre de suicide de 18%. Le taux de suicide chez les agriculteurs reste quant à lui toujours alarmant (1 suicide tous les deux jours en 2019), bien qu’il connaisse une baisse depuis 2015 (1 suicide par jour en 2015).

L’évaluation de la crise suicidaire, le repérage des signes avant-coureurs et la mise en place de soins adaptés constituent des actions qui ont fait leurs preuves dans la prise en charge du risque suicidaire.

Et si l’histoire de Pierre semble se terminer tragiquement, E. Bergeon y voit quant à lui un film d’espoir car ce père, auprès de qui il a beaucoup appris, ne lui a pas légué une ultime dette, mais au contraire un héritage : celui «de croire en ses projets, de travailler et de ne pas oublier cette terre ».

Nous attirons votre attention sur le fait que ce film, s’il est utilisé à des fins de prévention doit être traité avec de nombreuses précautions pour limiter l’effet de contagion suicidaire. Papageno ne recommande qu’exceptionnellement de limiter le visionnage de films ou séries où le suicide est abouti pour les personnes  en souffrance psychique risquant de s’identifier aux personnages. En revanche, ces films et séries peuvent être le support de discussions, de travail des représentations, voire de repérage si lors de leur diffusions ils sont suffisamment discutés et travaillés par les professionnels de la santé mentale et de la prévention.