DOSSIER : SOIGNANTS & COVID-19

DOSSIER : SOIGNANTS & COVID-19

 

Dossier Soignants et Covid-19 :
Quelles conséquences et pistes de prévention sur la santé mentale pour les soignants?

Le COVID19  pose un défi au personnel médical, en particulier à celui de première ligne qui est exposé à un contact direct avec les patients. Pour comprendre les répercussions sur l’état de santé mentale du personnel médical de cette épidémie, il faut déjà connaître les difficultés et fragilités préexistantes dans le corps soignant. Toutes les récentes études s’accordent déjà sur les conséquences et les risques à court et long terme sur la santé des soignants. En réponse à cette crise il semble qu’une réflexion autour de la santé ainsi que des conditions de travail de ces derniers sur le court et long terme soit nécessaire afin de garantir la santé et le soin pour tous, y compris celles des soignants eux-mêmes.

Une population déjà à risque

Pour Eric Galam, professeur de médecine générale Université Paris Diderot, le soignant est par essence une personne « à risque », et tous les auteurs s’accordent sur le fait que leur souffrance se situe à l’interface de nombreux champs de réflexion médicaux, psychologiques, éthiques et juridiques, sociaux et ergonomiques.

Souffrance des soignants : des chiffres sans appel

Les chiffres indiquent que les soignants sont plus à risque que la population générale d’avoir des troubles mentaux, d’être sous-diagnostiqués et sous-traités. Les soignants ont ainsi un risque augmenté d’anxiété, de dépression, d’épuisement, d’addiction et de trouble de stress post-traumatique. Conséquence logique, le risque suicidaire chez les soignants est supérieur de 50 % environ par rapport au niveau de risque dans la population générale hors crise sanitaire. L’association SPS établissait en 2017 qu’un quart des professionnels de santé, tous métiers, sexe et âge confondus, avait déjà eu, au cours de sa carrière, des idées suicidaires du fait de son travail. Parmi les soignants ayant eu des idées suicidaires, la majorité n’en avait parlé à personne. Les études de Duquette et Delmas, montrent que cet épuisement tend à s’accroître au cours des dernières années, et cela avant même la pandémie de COVID-19. 

Risques psycho-sociaux et violence au travail

Soigner présente un risque en soi : l’être humain par sa complexité nécessite pour le soigner un haut niveau de connaissances et une adaptabilité permanente. Il en résulte un positionnement difficile pour le soignant en termes de responsabilité juridique et humaine, source d’interrogations et d’inquiétude. Le pendant de ces adaptations permanentes étant un épuisement physique et psychologique et une fatigue liée à un stress continu.

Outre ces difficultés, l’ensemble des soignants sont exposés à de la violence, qu’elle soit verbale, psychologique et même physique dans l’exercice de leur profession, tant de la part de l’administration, de collègue ou encore des patients eux-mêmes et/ou de leur famille. Celle-ci reste encore mal connue, sous-estimée et peu pris en compte. Pas toujours rapportée, elle s’accompagne parfois de culpabilité. A long terme, la violence peut participer à la constitution de burn-out, syndrome de stress post-traumatique, abandon précoce de la fonction ou encore participer à la motivation d’un suicide.

Spécificité de la souffrance du soignant : une souffrance « éthique »

En outre, soigner demande une disponibilité particulière et est un engagement humain qui n’est pas neutre pour celui qui l’exerce en le confrontant à des questions éthiques et existentielles essentielles. La notion de « fatigue de compassion » qualifie alors l’épuisement psychique et physique intense ainsi que la profonde douleur morale qui l’accompagne, que peuvent rencontrer les professionnels prenant en charge de personnes en situation de détresse. Celle-ci résulte d’une préoccupation excessive et de stress en écho à la souffrance de la personne prise en charge. Elles peuvent être dramatiques pour le soignant, l’exposant à la dépression ou à un risque suicidaire. La fatigue de compassion concerne par ricochet la société car elle se traduit par des perturbations motivationnelles, une perte de l’efficience professionnelle, de l’absentéisme ainsi qu’un retrait précoce de la profession.

Quand on interroge les soignants, l’ensemble de ces différents points apparaissent, mais d’autres interrogations font aussi surface telles que le sens de leur travail, la question des désespoirs thérapeutiques, de la fin de vie et de la qualité de celle-ci. Bref, tout ce qui touche au sens. Or le COVID-19, par ses caractéristiques et son taux de mortalité élevé, vient encore plus précisément toucher ce hors-sens, l’accentuer et mettre ainsi à mal la position de « soignant ».

Causes et conséquences du COVID-19 sur l’exacerbation de la souffrance chez les soignants

La revue de littérature « Les professionnels de santé face à la pandémie de la maladie coronavirus (COVID-19) : quels risques pour leur santé mentale? » propose une lecture exhaustive quant aux difficultés rencontrées par les professionnels de santé. En voici les points les plus importants.

Des facteurs d’épuisement propres à la crise du COVID-19 : 

  • Les caractéristiques de cette pandémie (rapidité de sa diffusion, taux de mortalité important, masse d’informations associée à une évolutivité inégalée) alourdissent l’impact psychique potentiel sur les professionnels de santé et ont contribué à installer un climat fortement anxiogène.
  • Le manque de compréhension du virus favorise le vécu d’imprévisibilité difficile pour tout soignant.
  • La restructuration inédite de l’ensemble du système de soins effectué dans un climat d’urgence et d’incertitude.

Ces facteurs organisationnels sont une source de stress d’autant plus qu’elle se déroule dans un environnement relationnel souvent nouveau et de déficit d’équipement de protection individuel.

Deuil de la position de soignant et implication dans la vie familiale

Pour Freunberger « l’épuisement professionnel est une maladie de l’âme en deuil de son idéal». Or, le Covid-19 amène une confrontation inhabituellement violente au réel de la maladie et de la mort qui peut entamer cette position idéale de « soignant ». En effet, la virulence de ce virus entraîne un nombre inhabituellement élevé de décès et ne semble pas récompenser l’ensemble des efforts des équipes soignantes par des succès thérapeutiques. Ce constat renforce alors le sentiment d’inefficacité et/ou de compétence personnelle. Le sentiment d’utilité de la fonction soignant dans son idéal de réduire le soin aux seuls objectifs de guérison de la maladie aiguë en est alors atteint.

Cette pandémie a fait, de plus, émerger des dilemmes éthiques au sein d’équipes non préparées dans un contexte de surexposition à la mort. Enfin, l’accompagnement des familles est rendu impossible dans le contexte de confinement et vient alourdir la charge émotionnelle, en particulier le sentiment de culpabilité.

Habituellement, cette charge professionnelle, cognitive et émotionnelle, est équilibrée par la vie personnelle, mais laquelle est aussi mise à rude épreuve avec le confinement.

Conséquences sur la santé Mental des soignants

Si la « glorification » sociétale de la fonction soignante apparaît comme un facteur protecteur à court terme, les études démontrent d’ores et déjà que le risque de développer un épuisement ainsi que des troubles mentaux chez les soignants est d’autant plus élevé en temps de pandémie que dans l’après-coup. Au-delà de l’anxiété, le risque est l’émergence de troubles psychiatriques caractérisés chez les soignants impliqués dans la gestion de cette épidémie, notamment de l’épisode dépressif caractérisé et de troubles post-traumatique. Considérant la prévalence élevée des troubles dépressifs chez les soignants en dehors de tout contexte épidémique et l’accumulation des risques psychosociaux actuelle, il est logique d’anticiper l’augmentation de l’incidence après la pandémie et des complications associées, comme les addictions et les conduites suicidaires.

Prendre en charge la souffrance des soignants : pistes de réflexions et de prévention

Une difficulté majeure dans la prise en charge de la souffrance des soignants réside dans leur rapport complexe et paradoxal à la demande d’aide et de soin. Selon Eric Galam « être malade ne fait pas partie du référentiel du soignant et fait partie des sujets tabous, au même titre que l’émotion, […] et « l’hyper travail » et «pour les soignants, formuler une demande d’aide est souvent inimaginable, analyse Michel Lejoyeux, Chef du Service de psychiatrie et d’addictologie de l’Hôpital Bichat à Paris.

Ainsi, si pendant la pandémie de nombreux dispositifs de soutien psychologique ont été mis en place pour les soignants et que l’association SPS note une augmentation des demandes d’aides, cette sollicitation reste encore faible. Les retours d’expérience décrivent une réticence, voire l’absence de sollicitation des cellules d’écoute en période de crise sanitaire. Les professionnels de santé ont démontré de grandes capacités d’adaptation et de flexibilité malgré les difficultés considérables cumulées et sont en position de résistance coûteuse sur le plan personnel et psychique pour maintenir leur efficiente professionnelle. La citation du philosophe Cioran : « Ce matin, j’ai pensé, donc j’ai perdu pied, pendant un bon quart d’heure », nous indique peut-être que dans un moment de crise, l’urgence subjective peut-être mise de côté au profit de l’agir que nécessite la gestion de l’urgence sanitaire, et que viendra par la suite l’émergence des troubles psychiques . SPS note d’ailleurs que les données signalent un mal-être qui parait s’installer dans la durée.

Des mesures concrètes concernant l’aménagement d’un cadre de travail propice aux bien-être des soignants.

Les études montrent que la mise en place de mesures concrètes et efficaces quant à la qualité de vie et de travail des soignants accompagnées d’une réflexion et de mises en place de mesure de prévention sont nécessaires dans le présent mais le seront d’autant plus à l’avenir.

Voici des exemples de mesures qui ont prouvé leur efficacité :

  • Le besoin principal mis en avant par les soignants étant celui de plus de repos, l’aménagement de salles de repos, de facilitation de la logistique des repas, du quotidien, et la possibilité d’avoir des loisirs et des moments de détente apparaissent comme nécessaires.
  • Le travail interdisciplinaire et la solidarité dans l’équipe, la reconnaissance par la direction de la qualité du travail soignant et le soin réellement centré sur le malade peuvent aussi être préventif d’un épuisement professionnel. L’isolement des soignants dans leur exercice professionnel est quant à lui un des moyens les plus sûrs de décompenser des problèmes psychologiques en écho à la souffrance des malades.

SPS note de son côté avoir reçu sur sa plateforme d’écoute téléphonique une cinquantaine d’appels de directeurs d’hôpitaux en recherche de conseils pour accompagner leurs équipes. Pour le président de l’association, cela signe une nouvelle prise de conscience de l’importance de la prévention du risque psychosocial. Rappelons que quand la souffrance et la fatigue deviennent trop intense chez un soignant, et que des décisions commencent à être évoquées, il est important de prendre conscience que la première mesure est l’arrêt de travail

Mise en place de mesure de prévention sur le long terme

Une revue de littérature effectuée par notre équipe ainsi que les dernières recommandations de la HAS (mai 2020) quant à la souffrance des professionnels de santé mettent en avant les mesures suivantes.

Sur le plan individuel, apprendre aux professionnels à reconnaître les mécanismes et les symptômes de l’épuisement professionnels mais aussi leur propre limite est la première étape d’un processus destiné à l’élaborer et à l’endiguer. Cette formation peut s’étendre au dépistage et l’accompagnement vers le soin de la souffrance psychique chez leur collègue, en suivant la conviction d’Eric Galam que des professionnels Sentinelles ont ici un rôle important à jouer. Emmanuelle Gontier,  soignante au sein d’une cellule d’urgence médico-psychologique,  souligne quant à elle une difficulté chez les soignants à reconnaître pour eux-mêmes une maladie physique ou psychique mais que pourtant, il y a parfois urgence à diagnostiquer le mal car « Les personnes stressées transmettent leur stress. Il faut donc mettre un cadre pour protéger l’équipe qui les entoure et eux-mêmes ».

A un niveau institutionnel, cela nécessite la mise en place des groupes de travail chargés de l’humanité au travail et des risques psychosociaux afin de permettre une vraie réactivité en cas de repérage de difficultés personnelles d’un individu. Ce travail s’appuie alors sur la formation du personnel à différents niveaux, notamment concernant les enjeux psychologiques des soins, de la relation, et du management et de la gestion des situations de crises sanitaires de l’ensemble des professions de santé.

Pour Wissam El-Hage Coraline Hingray, et al., c’est un autre défi pour les professionnels de santé mentale qui apparait dans la mise en œuvre d’une démarche proactive spécifique de dépistage et de prise en charge des soignants, pour qui cette crise sanitaire aura pu constituer un facteur de risque particulier. À plus long terme, nous devront tirer les enseignements de cette crise sanitaire sur la vulnérabilité des soignants à la souffrance psychologique et aux pathologies mentales réactionnelles, afin de nous aider à renforcer les stratégies de prévention primaire notamment par la structuration de nos réponses d’aide à tous les niveaux — de la douleur à la dépression, en passant par l’épuisement professionnel jusqu’au suicide.

Pour aller plus loin